Panique #metoo

Sophie est une élève de 4ème qui a une imagination débordante, elle adore lire, tout type de romans, mais en particulier la science-fiction et l’horreur, c’est une grande fan de Stephen King, tout comme moi.

Un mercredi matin, elle est conduite dans mon bureau par un enseignant. Elle est en pleurs et elle hyperventile. Sophie s’est mise soudainement à suffoquer à la fin d’une séance de prévention contre l’homophobie, sans que personne ne comprenne ce qui avait bien pu se passer.

Le mercredi, c’est notre « journée sans infirmière », comme Sophie est inconsolable et incapable de parler, je décide d’appeler ses parents pour qu’ils viennent la chercher. Son père arrive assez inquiet, c’est la première fois que Sophie fait une crise de ce type. Il repart avec elle pour la conduire chez le médecin.

Deux jours après, il me rappelle pour me dire que le docteur a diagnostiqué à sa fille une anxiété généralisée. Il leur a conseillé un suivi psy, le rendez-vous est prévu dans six semaines. Après une longue discussion à la maison, Sophie a expliqué à ses parents qu’elle se sentait complètement envahie par la peur de se faire un jour agresser sexuellement comme toutes les personnes qui témoignent depuis le #metoo. Elle doit mobiliser toute son énergie pour repousser les scénarios angoissants qui lui viennent en tête.

Après une semaine de repos, Sophie revient et me donne plus de détails sur cette peur panique qui la submerge :

  • Madame, ça fait des mois que je ne me sens pas bien. D’abord, il y a eu le #metoo, c’est dingue toutes ces femmes qui ont été agressées ! Après, il y a eu le #metooinceste, et j’ai lu plein de témoignages horribles de personnes qui avaient été abusées dans leur enfance. Et maintenant il y a le #metoogay ! Alors quand l’animateur sur l’homophobie a raconté les insultes et la violence, j’ai eu l’impression de ne plus pouvoir respirer. J’arrête pas de penser à ce qui pourrait m’arriver, j’ai plein d’histoires horribles dans ma tête. Ya tellement de victimes ! Ça pourrait aussi m’arriver !
  • Ma pauvre, ça doit vraiment être horrible d’avoir tout ça dans la tête, je comprends mieux pourquoi tu as craqué ! Mais du coup, tu fais quoi quand ces scénarios arrivent dans ta tête ?
  • Au début, j’essayais de les chasser en me concentrant sur autre chose, ça me fichait un peu la paix. Le problème c’est qu’aujourd’hui, les pensées arrivent trop vite les unes après les autres, je ne contrôle plus rien, et j’ai de plus en plus de mal à me concentrer pour travailler, et même pour lire.
  • Ça doit vraiment être horrible, et épuisant ! Et tes parents, ils font quoi maintenant qu’ils sont au courant ?
  • Ils sont trop gentils, ils me rassurent tout le temps. Quand ils voient que je « pars dans ma tête », ils me disent « Sophie ! Sophie ! t’es où là ? A quoi tu penses ? ». Mais je peux pas leur raconter, c’est glauque et puis c’est tout mélangé. Comme ils sont choux mes parents, ils me prennent dans leurs bras et ils me disent qu’ils seront toujours là pour me protéger, que rien ne pourra jamais m’arriver…
  • Ils sont vraiment adorables tes parents. En même temps, moi je me dis que tu as toutes les raisons d’avoir peur puisqu’en effet, les prédateurs sexuels existent et qu’ils sévissent tous les jours. Ce qui est complètement flippant. C’est vraiment horrible de se dire qu’on peut un jour se faire agresser par un pervers.
  • Mais carrément !!!!
  • Tu dois voir un psy bientôt, c’est ça ?
  • Oui, dans un mois… C’est dans hyper longtemps !
  • Il pourra sûrement t’aider, mais si tu veux, en attendant, je peux te proposer un exercice pour essayer d’apaiser un peu ta peur. Je crois que si ta peur multiplie les scénarios horribles, c’est parce qu’elle ne se sent pas assez écoutée. En général, la chose qui nous fait peur nous fait encore plus peur si on évite de la regarder, tu vois ?
  • Donc il faut l’affronter, même si c’est terrifiant ? Un peu comme dans les livres du roi de l’horreur ?
  • T’as tout compris, c’est pareil pour toi. Aujourd’hui, quand ta peur t’envoie un scénario de ce qui pourrait t’arriver, tu le regardes un peu, mais pas tout à fait, et paf! Il en arrive un autre, encore plus sinistre. Alors si tu es d’accord, et si tes parents le sont aussi, je te propose d’écrire un journal ultra secret qui pourrait s’appeler « les malheurs de Sophie #metoo ». Il faudrait que tu notes dans ce journal chaque scénario qui arrive dans ta tête, et que tu le développes dans un chapitre entier. Ce ne sera sûrement pas suffisant mais en attendant le rendez-vous avec le psy, cela fera peut-être baisser ta peur juste assez pour que tu réussisses à finir tes contrôles et à lire tranquille.
  • Ok… Mais je peux tout écrire dans ce journal ? Même les détails les plus trashs ?
  • En vrai, il faudrait même que tu deviennes la Stephen King du #metoo.
  • Ok… Je veux bien essayer…
  • Super ! Est-ce que tu peux juste de me laisser le temps de prévenir tes parents parce que c’est un exercice un peu bizarre, et ils risquent de penser que la CPE a perdu la tête…

Les parents de Sophie sont (heureusement pour moi) très réceptifs. Je leur explique la démarche et insiste bien sur le fait que si cet exercice ne leur semble pas adapté il ne faut surtout pas que Sophie le fasse (parce qu’au début elle risque d’être prise d’une frénésie d’écriture, ce qui peut être dur à vivre et inquiétant pour eux). S’ils sont d’accord pour que Sophie essaie de faire cet exercice, pour apaiser les choses jusqu’au rendez-vous psy, je leur demande alors de respecter quelques « consignes » :

  • Arrêter de rassurer Sophie parce que ça a tendance, cette fois-là, à augmenter sa peur (alors que d’habitude ça marche)
  • Lorsqu’ils constatent que Sophie « part dans sa tête », lui suggérer d’aller écrire dans son journal #metoo.
  • Ne JAMAIS lire son journal (parce qu’elle va écrire des choses vraiment horribles qui sont mieux dans son journal que dans sa tête, mais trop dures pour ces pauvres parents).

Sophie a écrit, personne n’a jamais lu ses histoires. Elle est allée chez le psy, mais juste quelques séances, puis elle a dit à ses parents que ça allait. La peur ne l’a pas quittée, et quand elle est un peu trop présente, Sophie ouvre son journal et écrit. Elle n’a pas fait d’autre crise de panique #metoo jusqu’à la fin du collège.

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