Le boîte interactionnelle 2/2

Je m’appelle Olivia.

Je suis née en octobre, quand la forêt devient rouge et que les sorcières chevauchent leurs balais. J’adore les sorcières, toutes, et d’ailleurs, je crois bien que j’en suis une moi-même.

Dans mon berceau, à côté de moi, il y avait une boîte transparente. Je ne sais pas très bien qui l’a posée là. Elle était vide, jusqu’à ce que mes yeux trouvent ceux de ma mère. Une boule toute douce est apparue à l’intérieur de ma boîte, j’ai appris les mots doux, les câlins et les sourires, c’était amour.

J’ai grandi, et à chaque nouvelle rencontre, d’autres objets ont rejoint la boule toute douce, des objets de tailles et de couleurs variées. Quand mon petit frère est né, j’ai appris la patience et le partage, j’ai trouvé dans ma boîte un cube dont chaque face avait une texture différente, de la plus lisse à la plus rugueuse, c’était bienveillance.

Souvent, mes parents ajoutaient des objets dans ma boîte. L’un d’eux était plus gros que les autres, il ressemblait à un nuage, et grossissait quand j’allais au parc, ou le dimanche chez papy et mamie. Il s’appelait respect. J’ai appris à ne pas doubler dans la file du toboggan, et à faire un bisou à papy, même s’il sentait bizarre. Timo doublait toujours dans la file du toboggan, et ma cousine Cathy ne voulait jamais embrasser papy, personne n’avait dû mettre de nuage respect dans leur boîte. Il m’arrivait de me demander ce que contenait la boîte des autres.

Un jour, Cathy est venue passer l’après-midi à la maison. Cathy a deux ans de plus que moi, on s’aime comme des sœurs. On a ouvert nos boîtes pour les comparer. Je trouvais que mes objets étaient bien plus jolis que les siens, et puis Cathy a dit en rigolant : « Mais tu n’as pas de boule piquante ? ». Je ne savais pas ce qu’était une boule piquante, ni à quoi elle pouvait bien servir. Cathy a ajouté : « Maman dit qu’il faut absolument avoir une boule piquante avant d’aller au collège, si tu veux, je te prêterai la mienne ».

Parfois, des objets apparaissaient tous seuls dans la boîte. J’ai remarqué que maman n’aimait pas trop ça. Ça arrivait de plus en plus souvent. Un jour, j’ai trouvé mon frère dans ma chambre, il mordait les doigts de mes poupées, j’ai crié et je l’ai poussé dehors. Maman est arrivée, elle m’a grondée. D’un coup, quelque chose s’est mis à crépiter dans ma boîte. À l’intérieur, il y avait un diamant rouge qui sautillait, il brillait comme les braises dans le poêle. Je n’ai pas aimé que Maman puisse voir à l’intérieur de ma boîte. Elle a pris un gant pour enlever le diamant rouge en disant : « Olivia, je ne tolère pas la violence dans ma maison ! ». Je me suis demandé ce que je pourrais bien faire si mon frère abîmait encore mes affaires, ma boîte est devenue lourde, à l’intérieur j’ai trouvé un gros caillou tout noir, j’ai appris à me taire. D’un coup, les parois transparentes de ma boîte m’ont mises mal à l’aise, j’ai cherché des gommettes dans mon tiroir et je les ai toutes collées dessus. J’étais bien contente que les autres ne puissent plus voir à l’intérieur de ma boîte quand je suis entrée au collège.

Dans ma classe de 6ème, il y avait un garçon qui s’appelait Alban. Je le connaissais parce qu’on avait participé ensemble au tournoi Minecraft du centre aéré pendant les vacances, et qu’après on avait continué de jouer en ligne. Sur le jeu, il était sympa, on avait même parlé de la rentrée. Au collège par contre, il restait avec ses copains, on ne se parlait pas.

Un jour, il a fait une drôle de grimace dans ma direction, je n’ai pas compris, j’ai cherché dans ma boîte comment réagir, j’ai pris la pièce ignorance. Maman me l’avait donnée en CE1 quand Manon me disait que j’étais nulle en lecture. Quand on tient la pièce dans sa main, on devient invisible, et l’autre arrête de nous embêter. Avec Manon, j’ai dû la prendre deux ou trois fois avant qu’elle ne fonctionne, alors j’ai attendu. Je pense qu’Alban était immunisé contre la pièce ignorance puisqu’il a continué à faire des trucs de plus en plus bizarres et méchants. Il m’appelait « dents de lapin », « Lapinou chouchou », il continuait ses grimaces. Il faisait rire les autres, et je me suis dit qu’il devait y avoir un problème avec mes dents.

J’ai regardé dans le miroir. Alban avait raison, mes deux dents de devant étaient si grandes par rapport aux autres. J’ai décidé de garder ma bouche fermée le plus souvent possible, en serrant très fort ma pièce ignorance. Mon caillou noir est devenu plus lourd, la boîte pesait une tonne dans mon cartable, et Alban continuait ses moqueries.

Un soir, j’ai vidé toute ma boîte sur la moquette de ma chambre et j’ai étudié tous mes objets. Je me suis dit qu’il fallait peut-être essayer le bâton communication en « je ». Papa disait toujours « Olivia, transforme tes reproches en demandes. Quand quelqu’un fait quelque chose qui te blesse, dis-le-lui. Mais pour lui dire, utilise des phrases qui commence par « je » et pas par « tu » sinon l’autre sera contrarié par tes paroles et refusera de changer. »

Le lendemain, quand Alban m’a fait la grimace de lapin, j’ai pris le bâton, ma main tremblait, et j’ai dit : « Alban, je me sens triste quand tu me traites de dents de lapin, j’aimerais que tu arrêtes ». Je n’ai pas dû utiliser le bâton correctement, parce qu’Alban a répété ce que je venais de lui dire avec une voix de bébé. Mon caillou noir est devenu encore plus lourd.

Cathy m’a croisée dans un couloir et elle a dit : « Ouah sœurette, la sale tête que tu fais ! Qu’est ce qui se passe ? ». J’ai dit : « rien ». Elle a dit : « Ce n’est quand même pas à cause de ce gros débile d’Alban ? ». Je n’ai pas répondu, elle a cherché mes yeux et a dit : « C’est à cause de lui ? ». Je n’ai pas ouvert la bouche, elle a soufflé et a dit : « Bon, je viens dormir chez toi ce soir, réunion d’urgence ! À toute ! »

Le soir, Cathy faisait les cent pas dans ma chambre en disant : « Ce gros débile, je vais lui arracher les siennes de dents, tu vas voir ! ». J’ai un peu rigolé en imaginant Alban qui suppliait Cathy. Au bout d’un moment, elle a arrêté de tourner en rond et m’a dit qu’il me fallait une boule piquante, et qu’elle allait me prêter la sienne. Le problème, c’est que sa boule piquante refusait d’aller dans ma boîte. Après plusieurs essais, Cathy a dit que la boule résistait sans doute parce que c’était la sienne, et qu’il fallait que je fabrique ma propre boule piquante. J’ai répondu que je ne voyais vraiment pas comment faire et elle m’a expliqué.

« Une boule piquante, c’est un peu comme un bouclier, tu vois ? Elle permet de dire à celui qui essaie de créer la malaisance chez toi – Ey gars ! Avec moi, ça ne marchera pas, laisse tomber ! – Ou alors, ça ne marchera plus, quand il a déjà un peu réussi à te mettre mal. Tu comprends ? »

J’ai opiné du bonnet, mais je n’étais pas sûre de bien comprendre.

« Tu ne comprends pas, il faut que je te donne un exemple… Est-ce que tu te souviens du garçon qui m’appelait pue-du-bec en CM1 ? Il avait commencé parce qu’un matin, je n’avais pas eu le temps de me brosser les dents avant de venir à l’école. Je n’étais clairement pas très bien réveillée, j’ai demandé au garçon de se pousser un peu pour poser mon cartable, et il a crié « Aaaaah ! Mais dégeu ! Tu pues de la bouche ! » Je suis devenue toute rouge et je n’ai pas su comment réagir. C’est comme si ça lui avait donné un top départ pour continuer de m’embêter. Ça a duré plusieurs semaines : « T’as pensé à te laver les dents aujourd’hui ? Tiens ! Voilà pue-du-bec ! Ferme la bouche ou prend un chewing-gum ! » Un jour, je préparais une salade à la maison avec maman, et on coupait des oignons rouges. D’un coup, j’ai eu une idée, j’ai mis des morceaux d’oignons dans un petit sac, maman n’a rien vu, et le lendemain en arrivant en classe j’ai demandé à la maîtresse si je pouvais me mettre à côté du garçon parce qu’il m’aidait vraiment bien à faire les exercices de maths. La maîtresse l’a félicité et a accepté, lui, il n’avait pas l’air de comprendre, et moi je souriais. Je me suis assise à côté de lui et j’ai commencé à manger mes bouts d’oignons et à me mettre tout près pour lui poser des questions. Je pense qu’il a compris, mais il ne pouvait rien faire parce qu’en classe, contrairement à dans la cour, c’était le bon élève, sage et gentil. À la sonnerie de la récréation, il était tout blanc, je me suis levée et je lui ai dit « demain, ce sera camembert, j’en ai un bien mou à la maison ! ». Il m’a dit que ce n’était pas la peine, qu’il avait compris. Le plus drôle dans cette histoire, c’est qu’on s’est retrouvé dans la même classe en 6ème. Il est venu me dire qu’il était désolé pour le CM1, apparemment ce que j’avais fait lui avait appris que les personnes dont on se moquait pouvait se rebeller, et que ça piquait, valait mieux se méfier. Il m’a aussi raconté, et on a bien rigolé, que pendant longtemps après ça, il avait eu un peu la nausée quand il me croisait. »

J’ai demandé à Cathy si je devais manger des oignons à 8h du matin pour avoir une boule piquante. Elle m’a dit de faire un effort et puis elle m’a expliqué que la boule piquante se servait toujours d’une attaque pour créer un bouclier.

« Alban t’attaque sur tes dents, il dit que tu as des dents de lapin, donc à partir de maintenant, tu es un lapin, mais pas n’importe lequel, pas un lapinou chouchou, tu es le lapin tueur de Caerbannog, il a invoqué le lapin tueur de Minecraft ! Le fou ! » J’ai rigolé et j’ai dit que le lapin tueur pouvait manger Alban le mignon petit mouton avec ses cheveux tout frisés. Elle a répondu que j’avais enfin compris. Avec Cathy on a trouvé une supère image que j’ai transférée sur ma veste en jean.

L’image m’a donné de la force et quand je suis retournée au collège, j’ai fait des grands sourires et des coucous à Alban dans la cour. À la sonnerie, dans le rang, deux filles de la classe disaient qu’elles trouvaient ma veste vraiment chouette. Du coup les autres ont voulu voir, Alban aussi. Il m’a regardé bizarrement et n’a rien dit. J’avais vraiment hâte qu’il m’appelle encore dents de lapin, ou lapinou chouchou, mais il ne l’a plus fait et je n’ai pas pu lui donner la photo de mes dents pour qu’il puisse les regarder le soir avant de s’endormir.

À la fin de l’année, on s’écrivait tous des petits mots dans nos agendas. Sur celui d’Alban, j’ai dessiné un lapin avec des grandes dents dans un cœur.

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