
Plume est arrivée dans mon bureau un matin d’octobre en pleurs.
Plume est délicate, un vrai chaudoudou, sa voix est suave, ses yeux sont pâles, son sourire est discret. Douceur très vite repérée par Eglantine et Rose qui n’avaient qu’une idée en tête du matin au soir : Toucher Plume, l’enlacer et lui caresser les cheveux…
Le problème c’est que Plume supportait très mal le comportement d’Eglantine et Rose qu’elle vivait comme une intrusion dans son espace vital. Plume avait son propre système Proxémique, elle se sentait complètement agressée quand les autres franchissaient une distance publique de 7 mètres. Eglantine et Rose avaient pour habitude d’évoluer à une distance intime avec tout le monde. Plume les percevait comme des extraterrestres qui envahissaient constamment son espace vital. Quand elle les voyait arriver, son corps entier se crispait, elle cessait de respirer, tétanisée. Et plus le malaise de Plume était palpable, plus Eglantine et Rose se délectaient de sa douceur.
Lorsque que Plume est venue me parler, j’ai senti à quel point cette situation la faisait souffrir. Dans un premier temps, nous avons imaginé ensemble tout un tas de solutions machiavéliques pour stopper l’acharnement des filles, comme saupoudrer de la poudre urticante sur ses vêtements, ou lui coudre une veste en peau de hérisson. Imaginer les filles en pleine crise de grattage ou transformées en porc-épique nous a permis de dédramatiser un peu les choses, d’accueillir les émotions de Plume et les pleurs ont cessé.
Bien consciente que sa paralysie temporaire encourageait les filles à coloniser sa planète, Plume voulait que je l’aide à trouver des moyens de les repousser. Il était possible pour Plume de modifier les règles de cette relation toxique en changeant complètement son mode de réaction, mais c’était très difficile. Elle pouvait par exemple anticiper l’arrivée d’Eglantine et Rose en les accueillant avec un : « tiens, voilà super glue 1 et super glue 2! ». Elle pouvait également demander encore plus de câlins, en s’approchant tout près d’elles après avoir manger de l’ail.
Mais ce changement d’attitude était trop radical pour Plume, qui a finalement opté pour une médiation avec Eglantine et Rose en ma présence. Bien entendu, les filles ont joué les surprises (alors qu’elles ne l’étaient pas du tout) : « ah bon ? Ça te met mal à l’aise ? Mais nous on fait ça parce qu’on t’aime bien ! ». Nous nous étions mises d’accord pour que Plume joue aussi le jeu en répondant : « vous ne pouviez pas deviner, je sais bien, je ne vous en veux pas…. »
Eglantine et Rose ont cessé d’envahir la planète de Plume, sans doute plus par peur que ça finisse par chauffer que par réelle empathie. Mais Plume est tranquille, pour le moment…