Les jumeaux de Sylvie et la lessive

Le modèle de Palo Alto peut apporter un apaisement des souffrances scolaires, mais il peut aussi aider lorsque la relation parents / ados devient source de frustration et de tension.

Sylvie est maman solo d’une belle paire d’ados jumeaux. Elle occupe également un poste à responsabilités dans une grande entreprise. Elle est incroyable, elle réussit à trouver le temps d’organiser des anniversaires grandioses pour les jumeaux et de leur faire réciter les leçons tous les soirs (branchée H24 sur Pronote). Je la connais bien car elle fait partie des représentants des parents d’élèves. Elle est toujours de bonne humeur et d’un dynamisme débordant (je me suis parfois demandée si elle se droguait…).

Lorsque Sylvie entre dans mon bureau ce jour-là, je la trouve éteinte, ce qui est assez inhabituel. Après avoir fait le tour des « questions des parents », je capte son regard fatigué et lui demande comment ça va « pour de vrai ».

Je vois les larmes gonfler sous ses paupières et elle répond « je suis un peu fatiguée ». « Un peu » pour Sylvie est égal à « je vais m’évanouir de fatigue » pour le reste du monde. Sylvie vient d’accepter une promotion, plus de responsabilités, c’est aussi plus de temps, et une plus grande équipe à manager. Le week-end précédent, elle a donc expliqué aux jumeaux qu’elle aurait désormais besoin d’aide à la maison et qu’ils étaient assez grands pour prendre en charge quelques tâches ménagères, comme lancer une lessive ou débarrasser le lave-vaisselle. Ils ont dit « OKLM » en levant à peine les yeux de leur téléphone mais le linge est resté dans la panière et les assiettes dans le lave-vaisselle. Sylvie a supplié, crié, négocié, ils ont dit « OKLM » mais le linge est resté dans la panière et les assiettes dans le lave-vaisselle… Alors Sylvie a continué de laver, repasser et ranger pour que les jumeaux ne soient pas obligés d’aller au collège en pyjama faute de vêtements propres, réduisant comme peau de chagrin les minutes qui lui restaient pour se reposer et penser à elle et nourrissant une colère sourde contre ses jumeaux, suivie d’un puissant sentiment de culpabilité.

Je lui ai dit que les jumeaux pourraient peut-être lancer une mode en allant en pyjama au collège. Sylvie a pris un air horrifié :

  • Bah non ! 
  • Bah pourquoi ? 
  • Bah vous savez bien quoi…
  • Bah non, je ne sais pas… Vous croyez qu’ils comprendraient que maman n’est pas à leur service ? Que le linge ne se met pas tout seul dans la machine et ne revient pas tout seul propre dans l’armoire ?
  • … Mais vous croyez que je pourrais vraiment faire ça ?
  • Je ne sais pas, qu’est ce qui serait le plus horrible pour vous ? Prendre le temps de lire un bon thriller au lieu de faire la lessive et le repassage, ce qui ferait de vous la mère la plus indigne de l’univers (celle qui contraint ses jumeaux à porter un caleçon sale), ou continuer à vouloir tout gérer parfaitement, au boulot et à la maison (avec l’efficacité qui est la vôtre, vous comblerez les attentes de tout le monde), mais risquer le double burn out, professionnel et parental ?

Sylvie avait bien compris qu’elle alimentait un cercle vicieux qui la vidait de toutes ses forces et qui l’éloignait des jumeaux : « Faites des lessives ! mais si vous ne le faites pas, je le ferai ». Les jumeaux n’avaient aucune raison de modifier leur comportement, pour eux tout allait bien, ils pouvaient scroller en toute tranquillité, demain, les caleçons propres seraient dans l’armoire…

Nous avons passé le reste de notre rendez-vous à trouver des explications aux choses étranges qui pouvaient se produire chez Sylvie :

  • Une lessive qui n’a pas démarré ? Maman a reçu un coup de fil et a oublié « Oups ! Désolée chéri ! tu peux le faire si tu veux »
  • Des vêtements mouillés sur le lit ? Maman allait étendre la lessive et s’est rappelée qu’elle avait oublié son téléphone dans la voiture… « je suis tellement distraite en ce moment, tu peux le faire si tu veux »
  • Des chaussettes sales dans l’armoire ? Maman était en visio avec mamie et a machinalement plié et rangé le linge sale au lieu de le mettre dans la machine « mince, je devrais peut-être aller consulter, c’est bizarre de faire ça, tu ne trouves pas ? Bon allez, je vais faire des crêpes ! »

Les jumeaux ont eu le seum, mais comme ils ne voulaient pas se taper l’affiche au collège et que la daronne était au bout de sa vie, ils sont devenus les thugs de la machine à laver. Askip, Sylvie a du temps pour chiller, c’est chanmé.

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