La BG de la classe


Lui, c’est le Beau Gosse de la classe. Il est impertinent, sûr de lui, parfois arrogant. Il connaît les codes et toutes les limites. Il sait quand il passe dans la zone rouge, avec les adultes comme avec les autres élèves. Il le sait de mieux en mieux. Avant, il ne maîtrisait pas trop, il pouvait aller trop loin et les adultes lui tombaient dessus.  Cela devenait inconfortable, alors il a changé de stratégie. Avec le temps, il s’est rendu compte qu’il suffisait de rugir, de laisser croire aux autres qu’il pouvait mordre. Les Cassos sont faciles à duper, ils pensent réellement qu’il pourrait mordre, alors que franchement il n’est pas aussi débile que ça. Il connaît les risques, il n’a pas envie de se faire virer, ses parents seraient trop vénères, et adieu la play, le tel, Netflix et tout le reste !

Pour repérer les Cassos, il suffit de vanner, et selon leur réaction, on sait si on peut y aller ou si ça ne sert à rien. Le BG se conduit avec les Cassos comme son chat avec les souris. Il peut jouer avec pendant des heures. Quand la souris se rebelle un peu, le chat met un coup de patte. Quand le Cassos se rebelle un peu, le BG vanne plus fort ou file une petite tape sur la tête, rien de bien méchant. Rien qui justifierait qu’il se fasse virer. Et puis il peut toujours compter sur ses deux acolytes pour le prendre par le bras et lui dire « allez, c’est bon, laisse tomber… ». A ce moment-là, il fixe le Cassos droit dans les yeux pendant une bonne minute et part en grognant. Ça marche à tous les coups. Parfois quand il sent que ça va aller pleurer chez les adultes, il lâche un : « c’est bon, c’est pour rire ». Et puis, quand il est de bonne humeur, il se montre sympa, il fait comme s’il s’intéressait à la vie des Cassos. Ça les déstabilise et ça les rend encore plus réceptifs à la vanne qui arrivera un peu plus tard. Est-ce qu’ils croient vraiment qu’ils vont devenir potes ? C’est ridicule.  

Avec les adultes, c’est facile. Il suffit d’être poli et souriant, un peu mielleux, mais pas trop. Et surtout il faut être plus discret avec les vannes. Certains profs lui ont déjà fait la morale parce qu’un des Cassos avait poucave. Quand ça arrive, il fait comme s’il était surpris, il nie un peu et puis il finit par reconnaître qu’il n’a peut-être pas toujours été hyper sympa. À la fin, il dit qu’il est désolé et c’est réglé. Il lâche le Cassos en question pendant quelques temps histoire de calmer le jeu, et parce qu’il sait que les adultes vont vérifier que ça va, mais ils finissent toujours par passer à autre chose. Il faut juste être patient avant de recommencer à vanner. Et au pire, il y a assez de Cassos dans la classe pour pouvoir toujours vanner tranquille, histoire de rester le roi de la jungle.


Eux, ils sont 8. Un groupe de garçons dans la classe du BG. Certains le connaissent depuis l’école primaire. Ils reconnaissent qu’il s’est un peu calmé mais ils ne se sentent jamais vraiment sereins dans la classe. Ils sont comme des proies, toujours aux aguets. Ils ne savent jamais quand la vanne va tomber, sur qui et comment, mais ce dont ils sont sûrs, c’est qu’elle tombera inévitablement. Une fois, deux fois, trois fois. Parfois assortie d’un : « Tu le prends pas mal, hein ? C’est une blague… » ou d’un : « T’as pas d’humour ou quoi ? ». L’humour ils l’ont perdu, il a été remplacé par de la colère. De la colère contre le BG, contre les autres qui rigolent bêtement quand il leur fait une balayette, et puis aussi contre eux-mêmes de ne pas réussir à le stopper, à se défendre, à renvoyer le malaise dans son camp.

La plupart du temps, ils ne disent rien, et attendent qu’il lâche sa prise, parce qu’il finit toujours par lâcher sa prise, comme le chat lâche la souris quand elle ne bouge plus. Mais c’est hyper dur. C’est comme s’il y avait un incendie au fond de leur gorge, que le feu voulait sortir et qu’ils devaient le retenir à l’intérieur. Parfois, ils n’en peuvent plus alors ils vont en parler à un adulte. Les adultes comprennent. Ils essaient vraiment d’aider, en expliquant au BG, en le punissant, en lui faisant la morale, en lui gueulant dessus même parfois. Ça le calme un moment, mais jamais définitivement. Parfois ils n’en peuvent plus alors ils essaient de mordre, mais leurs dents ne sont pas aiguisées, et ils ne font que pincer. Le BG rugit plus fort et agite ses griffes sous leur nez. Ils ne savent pas jusqu’où il est capable d’aller, alors ils font marche arrière, amers et furieux contre eux-mêmes.

L’autre jour, la CPE et la Prof Principale sont venues pour parler de tout ça, juste avec eux 8.

Les 8 ont raconté les vannes, le malaise, l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête, le sentiment d’impuissance et la colère. La CPE a écrit les mots au tableau, ceux qui ont blessé et ceux qui sont restés coincés au fond de la poitrine. Elle a dessiné les émotions. Elle a schématisé le fil de la communication qui relie deux personnes et dont on ne peut défaire les nœuds depuis l’extérieur. Elle a illustré les tentatives d’intervention, les échecs, le cercle vicieux dans lequel ils étaient pris au piège. Ils ont compris que personne ne réussirait à changer le BG, mais qu’il était possible d’agir sur la manière de réagir, de répondre à ce que dit et fait le BG.

Un des 8 s’est souvenu de quelque chose. C’était son tour. Le BG le vannait par rapport à son prénom Justin. à chaque fois qu’il passait près de lui, il criait : « Salut Bridou ! ». En étude, il l’interpellait : « Bridou, file ta colle » … Un matin, en voyant arriver le BG, avant même qu’il ouvre la bouche, Justin avait crié : « J’aime le saucisson ! ». Le BG l’avait regardé bizarrement et avait passé son chemin et lui donnant un coup d’épaule. Rien n’avait été prémédité, et Justin n’avait pas compris la réaction du BG. La prof d’anglais lui avait dit que c’était l’effet de surprise, que le BG avait été désarçonné. La CPE avait dit que ça lui faisait penser à un jeu qui permettait de s’entraîner à répondre de manière décalée, parfois bizarre, ou un peu provocante, et que la réponse de Justin pouvait entrer dans la catégorie pirouette et autodérision. Elle leur a demandé d’autres exemples de vannes du BG. L’un d’eux a expliqué que la semaine suivant son rendez-vous chez le coiffeur, le BG n’avait eu de cesse de lui faire des remarques sur ses cheveux : « Vas-y, t’as une coupe de daron ! » ou « Regarde son début de calvitie sur les côtés là… »

Les 8 ont réfléchi ensemble aux réponses décalées, bizarres ou un peu provocantes, ils ont eu plein d’idées et ont beaucoup ri :

  • Avoue, j’te plais comme ça doudou…
  • Tu veux toucher ma calvitie ? c’est tout doux !
  • Pierre, feuille, ciseaux !
  • La prochaine fois, j’fais la boule à Z
  • Tes cheveux sont tellement beaux, t’as fait une couleur ?
  • Tu savais que les cheveux poussent d’un centimètre par mois ?

A la fin de la séance, les 8 savaient que le BG continuerait de faire ses trucs de BG.

Ils savaient aussi que leur colère était légitime, et qu’elle gonflait quand ils se sentaient impuissants.

Ils découvraient une nouvelle façon de voir la relation avec le BG, et avec tous les BG de la terre.

Ils voulaient encore s’entraîner à répondre de manière décalée, bizarre ou un peu provocante parce que ça redonnait de la force et du courage.

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