Jules et le cartable invisible

La rentrée était déjà loin derrière nous quand les surveillants sont venus me faire part de leur inquiétude à propos d’un élève de 6ème. Depuis plus d’une semaine, chaque jour à 14h, ils trouvaient Jules en train de chercher frénétiquement son cartable. Au début, ils se sont dit qu’il était un peu tête de linotte, puis ils ont cru qu’un copain lui avait fait une blague, mais sentant Jules de plus en plus contrarié et stressé, ils ont commencé à le questionner. A chaque fois, Jules leur a répondu, mâchoire serrée, que ce n’était pas grave.

Après quelques jours de réflexion, Jules a finalement accepté ma proposition d’entretien. Il a gardé les yeux baissés pendant que je lui expliquais que les surveillants se faisaient du souci pour lui. D’après ce qu’ils m’avaient raconté, il semblerait qu’un lutin malin lui cachait son cartable chaque jour, au même moment, ce qui devait être extrêmement pénible pour lui.

Jules a alors froncé les sourcils et m’a répondu que ces lutins-là n’étaient pas malins du tout.

J’ai invité Jules à m’en dire plus sur ces lutins pas malins qui lui empoisonnaient la vie et j’ai découvert qu’il subissait depuis deux ans le rejet de trois garçons, Antoine, Baptiste et Clément. Jules ne savait pas exactement comment les choses avaient commencé, mais il se souvenait qu’il était triste quand les lutins le mettaient à l’écart.

Lorsqu’il s’approchait des autres élèves pour partager les jeux de la cour de récréation, l’un des lutins lui disait de partir « t’es chiant ». Lorsqu’il riait avec un autre petit camarade, l’un des lutins lui disait « t’es nul ».

Jules, qui avait suivi avec attention les actions mises en place dans son école pour lutter contre le harcèlement scolaire, avait fait ce qui était préconisé : Il en avait parlé à ses parents. Sa mère avait interpellé la mère de Baptiste en sortant du judo le mercredi suivant (d’ailleurs, c’était chouette le judo avec Baptiste). La mère de Baptiste avait demandé à son fils de s’expliquer sur ce qui se passait à l’école avec Jules, et Baptiste avait confirmé que Clément n’était pas sympa avec Jules et avait dit qu’il regrettait d’avoir laissé faire.

Lorsque Jules était parti à l’école le lendemain matin, il avait le cœur léger. Les choses allaient forcément s’arranger. Mais cela n’avait pas été le cas du tout. Les lutins avaient commencé à faire tomber les affaires de Jules en n’oubliant jamais de s’excuser juste après. Jules en avait parlé à la maîtresse, qui avait organisé une médiation. Jules avait expliqué, et les lutins avaient tous pris un air vraiment surpris. Ils avaient dit à la maîtresse que Jules se trompait, que s’ils avaient fait tomber ses affaires, ce n’était pas volontaire (la preuve : ils s’étaient excusés !). Antoine avait même dit que le doigt d’honneur de la veille n’était pas pour lui. La maîtresse avait grondé Antoine pour le doigt d’honneur et avait demandé aux garçons de faire un effort pour se respecter et jouer ensemble.

L’arrivée au collège avait donné beaucoup d’espoir à Jules, d’autant plus que ses parents avaient demandé à la Principale de veiller à ce qu’il ne soit pas dans la même classe que les lutins. Il avait été un peu déçu en constatant que Baptiste était quand même dans sa classe mais comme c’était « le moins pire », ce n’était pas si grave.

Jules avait fait connaissance avec de nouveaux copains, et appréciait déjà ses professeurs, mais les problèmes avec les lutins avaient recommencé. Chaque jour, les lutins pas malins lui cachaient son cartable pendant le temps du déjeuner, et chaque jour, il devait le chercher. Un jour, Antoine avait même poussé le bouchon jusqu’à lui dire « tu devrais chercher par ici, il y a une bosse sous les sacs… », et ils avaient tous rigolé.

Jules ne voulait pas entendre parler d’une nouvelle intervention des adultes puisque « ça ne servait à rien ». Alors je lui ai demandé s’il se sentait capable de faire quelque chose d’un peu bizarre pour montrer aux lutins que lui, il était un géant, et qu’un géant, c’est bien plus fort que trois lutins, pas malins, qui plus est.

Je lui ai expliqué qu’en subissant sans rien dire, il les amusait beaucoup. Chaque jour, ils mettaient une pièce dans le distributeur à bonbons en cachant son cartable, et chaque jour, ils savouraient leurs bonbons en le regardant chercher partout son cartable en s’agaçant en silence.

J’ai suggéré à Jules d’adopter une stratégie complètement différente, en les défiant un peu. Il s’agissait de montrer aux lutins qu’il n’était pas dupe, et que puisqu’ils aimaient tellement ce jeu de cache-cache un peu débile (même pour des lutins pas très malins), Jules allait donc les encourager à continuer. Il allait casser le distributeur à bonbons.

Lorsque Jules arriverait à l’emplacement des cartables en fin de matinée il pourrait par exemple leur crier : « Eh les gars, je pose mon cartable là pour que vous puissiez le cacher tout à l’heure ! Amusez-vous bien ! ». Au moment de retourner dans le rang à 14h, il pourrait aussi leur dire : « Bon les gars, va falloir être un peu plus créatif, parce que là, j’ai vraiment pas mis longtemps à trouver mon sac ! »

Nous avons décliné l’idée de plusieurs façons, et imaginé comment pourraient réagir les lutins. Pour la première fois, un sourire s’est dessiné sur le visage de Jules.

Jules eut à répéter plusieurs fois la manigance, essuyant quelques « n’importe quoi, t’es vraiment trop débile, dégage ! » mais les lutins se sont finalement lassés, des lutins vraiment pas malins…

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